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29 octobre 2014 3 29 /10 /octobre /2014 11:44

Je vous invite à partager la nouvelle que j'ai écrite pour le Concours de Clair de plume  sur le thème "Rêve d'Italie".

LES CARTES POSTALES

 

             Chez Malika, le mur de la cuisine est couvert de cartes postales collées tous azimuts. Toutes venues d’Italie. Malika est la nounou de ma fille. Je viens d’arriver de province et dès la première rencontre, elle s’est montrée très chaleureuse. Nos filles sont dans la même classe à l’école des Grésillons de Gennevilliers et nous habitons la cité du 74.

 

Malika a le regard vif pétillant et sa tenue est composée d’un subtil mélange de traditions marocaines revisitées à la manière italienne. J’ai donc pris l’habitude de passer quotidiennement  un moment dans la cuisine de Malika.


- Vous verrez, ici au 74 tout le monde se connaît rapidement dit-elle. ça ressemble à l’Italie du sud, linge aux fenêtres, cris d’enfants joyeux. J’ai toujours habité ici, poursuit-elle. Je suis d’origine marocaine. Mon père travaillait chez Chausson. Les ouvriers n’avaient qu’à traverser la rue. Leur boulot ce n’était pas de la fumisterie. Ils faisaient la grève et nous on aidait à fabriquer les banderoles.

 

- Avec vos frères et sœurs ?

 

- Avec les voisins de palier aussi. C’était des Italiens. On était bien différents mais tout le monde se respectait. Les mères, elles se donnaient toujours un coup de main pour les enfants. La mienne, en partant aux commissions disait à sa voisine, jette un coup d’œil aux petits. Et le lendemain c’était le même rituel mais en sens inverse. On était ceux du 74. Il n’y avait pas besoin de nom de fleur ou d’homme célèbre pour baptiser ce quartier.  

    

- C’était le bon temps ?


 - On était pauvres mais heureux. Parfois j’enviais les voisins quand ils partaient en Italie car nous on ne pouvait pas aller au Maroc, c’était trop cher. Je demandais à Fausto, le fils des voisins, de m’envoyer des cartes postales. Comme ça, je voyageais un peu. Fausto avait presque mon âge.


 - Il vous en reste des traces à ce que je vois répondis-je en désignant le mur de cartes postales qui couvrait un grand pan de mur.


 - Oh ! j’ai toujours eu un faible pour ce pays. Je crois que c’est venu avec Fausto. On s’est élevés ensemble et puis on s’est aimés. On s’aime toujours. Là justement il est allé voir sa famille. J’aurais voulu devenir professeur  d’Italien. Mais mon père a eu un accident chez Chausson et n’a plus travaillé. Alors ma mère a demandé à faire les ménages à la mairie. Elle se levait tous les jours à quatre heures, un véritable acte de bravoure dans le noir de la nuit et de l’anonymat. J’ai donc laissé tomber l’école et je suis allée à l’usine moi aussi. Et je me suis occupée des petits. C’est cela être l’aînée.

 

Malgré ce sacrifice, Malika a gardé beaucoup d’enthousiasme et l’amour de Fausto l’a épanouie. Elle ressemble à un portrait de Botticelli à la différence que ses cheveux sont bruns. Ils encadrent de boucles un visage empreint de douceur et il y a dans ses yeux des éclats du verre de Murano.


 - Le jour de notre mariage toute la cité du 74 a été pavoisée et on a dansé aussi bien sur des airs italiens que des chants marocains scellant ainsi l’alliance des familles Batinelli et Mehdaoui.


 On était très heureux. On pensait aller chaque année en Italie se mêler à la marée humaine qui bondant les trains. C’était le prix à payer pour l’évasion. Vous savez, c’est juste à la frontière, à Vintimille, mais c’est quand même l’Italie, notre petit paradis. Malika la marocaine évoque ce pays comme un Eden.


 - Pourtant je ne suis jamais allée à Capri, ni dans la baie de Naples poursuit-elle.       Elle me raconte qu’elle a découvert ce pays de rêve dans les livres de la bibliothèque et à travers la musique. Elle, la marocaine, est probablement plus sensible à l’art italien que n’importe qui. En tout cas elle a acquis une extrême sensibilité à la beauté des visages de Botticelli, au Bel Canto et aime ce personnage du Baron perché d’Italo Calvino dont elle admire la liberté et l’anticonformisme.


 - Vous avez davantage d’Italie en vous que de Maroc lui dis-je.


 - On m’appelle « l’Italienne à Rabat ». Vous savez, comme l’Italienne à Alger, l’opéra de Rossini dit-elle en riant. Je chante les airs d’opéra. Bien sur pas comme Maria Callas mais quand j’incarne ces rôles je suis une héroïne. L’opéra c’est la force des sentiments et Verdi et Puccini sont des compositeurs universels.


 - Les femmes y ont pourtant des destins tragiques ? Vous êtes si gaie, si énergique, comme invincible.


 - Tout le monde a un peu d’arsenic en soi me répond-t-elle. Tragédie de la vie…  Cette remarque me surprend et je tente de détendre l’atmosphère devenue grave.


 - Parlez-moi encore de cette Italie que vous avez faite votre.


 - On  n’était plus des promessi sposi, on était mariés depuis trois ans avec Fausto. Un jour l’oncle de Fausto, le zio, m’a dit qu’il y avait une place à l’Office de Tourisme de Vintimille.


 - J’imagine votre joie dis-je


 C’était inespéré. Vivre en Italie, vous vous rendez compte ? Fausto aurait travaillé avec son oncle. Alors on s’est décidés tout de suite. J’ai commencé les visites touristiques dès l’été venu. On devait déménager après la saison.


 - Vous aviez déjà des enfants à ce moment là ?


 - J’attendais le premier. Je n’ai rien dit à mon patron. C’était risquer de perdre mon emploi. Il faisait chaud et je marchais toute la journée. Mais c’était le bonheur !


 La Dolce Vita en somme ?

 

Nous fûmes à cet instant interrompues par l’un des enfants de Malika qui se précipitait vers elle, les yeux rayonnants de joie intense. L’enfant avait le même regard que Malika mais ses yeux étaient d’un bleu sombre.


 - Mamma, la carte de Papa est arrivée dit–il comme s’il annonçait une victoire.

 

A cet instant je vis Malika se métamorphoser. Le visage botticellien aux cheveux noirs se mua en une pietà nouée par une douleur muette et secrète. Elle prit la carte postale. Je ne comprenais pas. Tout se passait comme si l’ensemble de ce mur d’images se disloquait brusquement. Ne voulant pas laisser cette femme éplorée se faire happer par ce que je percevais de sa douleur, je lui demandais.


 - C’est un peu de rêve qui vous arrive ?


 Après un long silence Malika ancra ses larmes dans mon regard.


 - Je ne veux plus y aller, depuis le jour où j’ai perdu mon premier bébé.Un sanglot la secoua.


 - La petite est née trop tôt. Ma petite Floria …

 

Dominique     

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