Ecrit en atelier le 30 janvier 2015.
Il ruminait son rhume en reniflant de façon bruyante. La chaussée était ruinée et le vélo tremblait. A bien observer le cycle, il était possible de voir les rayons vibrer, se courber, se vriller. Chaque nid de poule provoquait des spasmes, des hoquets et des chocs qui courraient du coccyx jusqu’à la vertèbre cervicale supérieure. La sensation était double car la traction provoquée se sentait aussi bien à la base du crâne que dans le bassin. La colonne vertébrale s’encastrait dans la boite crânienne jusqu’à écraser la cervelle et, dans le même temps, elle broyait les muscles fessiers. La douleur irradiait dans les reins, le ventre jusqu’aux testicules. Le cycliste continuait pourtant son inlassable mouvement circulaire, appuyant fortement sur les pédales diamétralement opposées. La rue défoncée montait et l’inclinaison de la voie rendait l’ascension encore plus difficile. Rudy avait le souffle court et son corps était disloqué par l’effort qu’il fournissait. Depuis le matin, son cerveau fonctionnait comme le pédalier. La même pensée revenait systématiquement au même endroit dans son crâne, là, à 2 centimètres et demi au dessus de l’oreille et à 5 centimètres dans la boite qui protégeait son cerveau. Il s’était dit qu’une sortie en vélo chasserait cette pensées fixée en lui, enkystée comme pourrait l’être une tumeur. Cette seule idée de tumeur lui glaçait le sang. Tu meurs entendait-il. Il fallait bouger, faire circuler les humeurs, bonnes ou mauvaises, chasser le chagrin qui le rongeait. Mais il ruminait toujours, ruminait, ruminait. A la bosse suivante, la cervicale supérieure craqua et une sensation de décharge électrique le traversa d’une oreille à l’autre. Le flux électrique était bleu, glacé et violent. A cet instant Rudy réalisa que la rue était transformée en champ de mine. Rue minée, rue minée. La déflagration le guettait à tout instant. Un choc et cela allait exploser. Exploser dans sa tête, exploser dans tout son corps. Il pensa que ruminer une pensée pouvait le conduire à sa perte.
Il songea aux vaches qui ruminent. Pour elles ce n’est pas sorcier pensa-t-il.
Il se dit, je vais descendre du vélo, courir dans le pré. Peut être pourrai-je me métamorphoser en vache. Il pensa alors à Io qui avait été séduite par Jupiter puis changée en vache. Elle ne pouvait plus communiquer après sa métamorphose.
Rudy décida de rester sur son vélo.
Domi