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29 octobre 2014 3 29 /10 /octobre /2014 11:44

Je vous invite à partager la nouvelle que j'ai écrite pour le Concours de Clair de plume  sur le thème "Rêve d'Italie".

LES CARTES POSTALES

 

             Chez Malika, le mur de la cuisine est couvert de cartes postales collées tous azimuts. Toutes venues d’Italie. Malika est la nounou de ma fille. Je viens d’arriver de province et dès la première rencontre, elle s’est montrée très chaleureuse. Nos filles sont dans la même classe à l’école des Grésillons de Gennevilliers et nous habitons la cité du 74.

 

Malika a le regard vif pétillant et sa tenue est composée d’un subtil mélange de traditions marocaines revisitées à la manière italienne. J’ai donc pris l’habitude de passer quotidiennement  un moment dans la cuisine de Malika.


- Vous verrez, ici au 74 tout le monde se connaît rapidement dit-elle. ça ressemble à l’Italie du sud, linge aux fenêtres, cris d’enfants joyeux. J’ai toujours habité ici, poursuit-elle. Je suis d’origine marocaine. Mon père travaillait chez Chausson. Les ouvriers n’avaient qu’à traverser la rue. Leur boulot ce n’était pas de la fumisterie. Ils faisaient la grève et nous on aidait à fabriquer les banderoles.

 

- Avec vos frères et sœurs ?

 

- Avec les voisins de palier aussi. C’était des Italiens. On était bien différents mais tout le monde se respectait. Les mères, elles se donnaient toujours un coup de main pour les enfants. La mienne, en partant aux commissions disait à sa voisine, jette un coup d’œil aux petits. Et le lendemain c’était le même rituel mais en sens inverse. On était ceux du 74. Il n’y avait pas besoin de nom de fleur ou d’homme célèbre pour baptiser ce quartier.  

    

- C’était le bon temps ?


 - On était pauvres mais heureux. Parfois j’enviais les voisins quand ils partaient en Italie car nous on ne pouvait pas aller au Maroc, c’était trop cher. Je demandais à Fausto, le fils des voisins, de m’envoyer des cartes postales. Comme ça, je voyageais un peu. Fausto avait presque mon âge.


 - Il vous en reste des traces à ce que je vois répondis-je en désignant le mur de cartes postales qui couvrait un grand pan de mur.


 - Oh ! j’ai toujours eu un faible pour ce pays. Je crois que c’est venu avec Fausto. On s’est élevés ensemble et puis on s’est aimés. On s’aime toujours. Là justement il est allé voir sa famille. J’aurais voulu devenir professeur  d’Italien. Mais mon père a eu un accident chez Chausson et n’a plus travaillé. Alors ma mère a demandé à faire les ménages à la mairie. Elle se levait tous les jours à quatre heures, un véritable acte de bravoure dans le noir de la nuit et de l’anonymat. J’ai donc laissé tomber l’école et je suis allée à l’usine moi aussi. Et je me suis occupée des petits. C’est cela être l’aînée.

 

Malgré ce sacrifice, Malika a gardé beaucoup d’enthousiasme et l’amour de Fausto l’a épanouie. Elle ressemble à un portrait de Botticelli à la différence que ses cheveux sont bruns. Ils encadrent de boucles un visage empreint de douceur et il y a dans ses yeux des éclats du verre de Murano.


 - Le jour de notre mariage toute la cité du 74 a été pavoisée et on a dansé aussi bien sur des airs italiens que des chants marocains scellant ainsi l’alliance des familles Batinelli et Mehdaoui.


 On était très heureux. On pensait aller chaque année en Italie se mêler à la marée humaine qui bondant les trains. C’était le prix à payer pour l’évasion. Vous savez, c’est juste à la frontière, à Vintimille, mais c’est quand même l’Italie, notre petit paradis. Malika la marocaine évoque ce pays comme un Eden.


 - Pourtant je ne suis jamais allée à Capri, ni dans la baie de Naples poursuit-elle.       Elle me raconte qu’elle a découvert ce pays de rêve dans les livres de la bibliothèque et à travers la musique. Elle, la marocaine, est probablement plus sensible à l’art italien que n’importe qui. En tout cas elle a acquis une extrême sensibilité à la beauté des visages de Botticelli, au Bel Canto et aime ce personnage du Baron perché d’Italo Calvino dont elle admire la liberté et l’anticonformisme.


 - Vous avez davantage d’Italie en vous que de Maroc lui dis-je.


 - On m’appelle « l’Italienne à Rabat ». Vous savez, comme l’Italienne à Alger, l’opéra de Rossini dit-elle en riant. Je chante les airs d’opéra. Bien sur pas comme Maria Callas mais quand j’incarne ces rôles je suis une héroïne. L’opéra c’est la force des sentiments et Verdi et Puccini sont des compositeurs universels.


 - Les femmes y ont pourtant des destins tragiques ? Vous êtes si gaie, si énergique, comme invincible.


 - Tout le monde a un peu d’arsenic en soi me répond-t-elle. Tragédie de la vie…  Cette remarque me surprend et je tente de détendre l’atmosphère devenue grave.


 - Parlez-moi encore de cette Italie que vous avez faite votre.


 - On  n’était plus des promessi sposi, on était mariés depuis trois ans avec Fausto. Un jour l’oncle de Fausto, le zio, m’a dit qu’il y avait une place à l’Office de Tourisme de Vintimille.


 - J’imagine votre joie dis-je


 C’était inespéré. Vivre en Italie, vous vous rendez compte ? Fausto aurait travaillé avec son oncle. Alors on s’est décidés tout de suite. J’ai commencé les visites touristiques dès l’été venu. On devait déménager après la saison.


 - Vous aviez déjà des enfants à ce moment là ?


 - J’attendais le premier. Je n’ai rien dit à mon patron. C’était risquer de perdre mon emploi. Il faisait chaud et je marchais toute la journée. Mais c’était le bonheur !


 La Dolce Vita en somme ?

 

Nous fûmes à cet instant interrompues par l’un des enfants de Malika qui se précipitait vers elle, les yeux rayonnants de joie intense. L’enfant avait le même regard que Malika mais ses yeux étaient d’un bleu sombre.


 - Mamma, la carte de Papa est arrivée dit–il comme s’il annonçait une victoire.

 

A cet instant je vis Malika se métamorphoser. Le visage botticellien aux cheveux noirs se mua en une pietà nouée par une douleur muette et secrète. Elle prit la carte postale. Je ne comprenais pas. Tout se passait comme si l’ensemble de ce mur d’images se disloquait brusquement. Ne voulant pas laisser cette femme éplorée se faire happer par ce que je percevais de sa douleur, je lui demandais.


 - C’est un peu de rêve qui vous arrive ?


 Après un long silence Malika ancra ses larmes dans mon regard.


 - Je ne veux plus y aller, depuis le jour où j’ai perdu mon premier bébé.Un sanglot la secoua.


 - La petite est née trop tôt. Ma petite Floria …

 

Dominique     

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8 août 2014 5 08 /08 /août /2014 15:50

Une de mes nouvelles vient d'être publiée sur le site internet  de Jean-Philippe TOUSSAINT dans le cadre du "BORGES PROJET".

Il s'agissait d'écrire une nouvelle ayant pour titre "l'Ile des Anamorphoses" à partir de la proposition ainsi formulée :

Dans La Vérité sur Marie, Jean-Philippe Toussaint évoque une nouvelle de Borges, L’île des anamorphoses. En voici l’argument : « L’île des anamorphoses, cette nouvelle apocryphe de Borges, où l’écrivain qui invente la troisième personne en littérature finit, au terme d’un long processus de dépérissement solipsiste, déprimé et vaincu, par renoncer à son invention et se remet à écrire à la première personne.» Toute trace de cette nouvelle captivante semble s’être évanouie. Vous êtes écrivain, professeur, étudiant ou amateur de littérature ? Pourquoi ne pas la réécrire ? Ou imaginer son destin ? Nous vous proposons aujourd’hui de nous livrer votre propre version de cette nouvelle disparue, nouvelle apocryphe de Borgès.


Vous pouvez lire ma nouvelle en suivant le lien suivant :

http://www.jptoussaint.com/borges-projet.html

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4 avril 2013 4 04 /04 /avril /2013 15:10

VIC-LA-GARDIOLE-ETANG-DE-VIC-FEV2013-009.jpg

 

 

 

 

 

L’air adouci était imprégné de ce gris qui s’étalait sur l’étang d’aluminium et le ciel à peine irisé d’un soleil qui demeurait invisible. Le même gris, immobile. Mes pas laissaient des traces profondes dans la boue séchée des basses eaux d’hiver. Mais je n’y prenais pas garde. Quelle importance la boue ? Tout ça c’était des affaires trop compliquées pour moi. Je préférais déambuler sans but, dans la seule lumière brillante, accompagné par les cris des flamants et les pleurs des goélands. Là bas, au milieu de l’eau j’avais vu s’ouvrir au dessus de ces pattes filiformes, deux grandes ailes presque violacées frangées de noir. Puis plus rien. Tout était redevenu comme avant. Ces formes rosées perchées au dessus de l’eau grise et scintillante, comme givrée. Puis j’avais vu le tricycle. Il était à demi enfoncé dans l’eau saumâtre, couvert de vase. Je voyais aussi ce fauteuil de salon qui ressemblait à celui où j’aimais me prélasser. Mais là, il était presque immergé au-delà de la croute morcelée qui séparait l’étang de la terre.

« Bizarre ».

J’avais suivi une piste de terre, avec au milieu, une raie verte, douce et silencieuse. A côté, ça craquait sous les pas. Cette femme, avec qui je passais des jours heureux, je l’avais entendue échanger quelques mots avec un vieil homme. Une conversation banale. Oui, il faisait bon à cette heure de la journée. Oui, cet endroit était paisible. Elle n’avait rien laissé paraître de son angoisse. J’avais fait mine de ne rien entendre et avais continué mon chemin. Plus loin je reconnus le mazet qui me donna les indices sur ces objets abandonnés que je venais de voir. La maisonnette autrefois charmante avait été vandalisée. Portes fracturées, volets éventrés, débris de tuiles, de verre et de bois répandus tour autour de ce qui avait été une maison de vacances.

« La leur. La mienne un peu. »

Je revoyais l’enfant en larmes, les parents pâles. Ils étaient partis, sans même avoir la force de remettre de l’ordre sur leur lopin de terre qu’ils appelaient leur petit paradis. Ils n’étaient pas revenus. « A quoi bon ? ». Pourtant, elle était ici aujourd’hui, pour tenter de se faire expliquer ce drame. Je l’avais laissée s’avancer vers l’inconnu, inconscient du danger.

Maintenant je ne voyais plus qu’une surface noire bordée de pointillés blancs. Le fracas des moteurs faisait trembler le sol. Des sifflements, un peu plus loin, lorsque ce tube bleu transperçait l’espace. J’étais terrifié. De loin en loin je ne voyais que ces scories de vie, jetés là. Un gant, une chaussette et un pansement sanguinolent. Un paquet de cigarette, un mégot, une bouteille de vin rosé écrasée. Tic tac, le temps staccato battait trop violemment dans mes tympans.

« Pourquoi ce désastre ? »

Chacun de mes pas, dans l’écrasement du métal des canettes, les meurtrissures infligées à de multiples objets, l’odeur de pourriture qui refluait du caniveau, me confrontait à mon insu, au pire. J’avais envie de rassembler ces pièces d’un puzzle mystérieux qui me laissait deviner l’histoire des hommes, leur soif de possession, leur avidité à jeter après usage tout ce qu’ils touchent, leur violence, leur avidité. J’étais révolté et amer. Maintenant je courrai à perdre haleine pour fuir ce tracé infernal noir. Le panneau stop était rouge. La terre enfin, après le sol dur d’obscurité. J’obliquais vers les roseaux, toujours en quête de ces vestiges improbables qui m’enseigneraient la vie. J’eus envie de la retrouver, de frotter ma tête à la sienne.

Deux énormes chaussures. Et au-dessus une forme géante que je ne connaissais pas. A cet instant, une détonation fulgurante traversa l’air. Celle qui m’accompagnait vacilla et son visage se rapprocha du mien. Je vis ses yeux me regarder fixement. C’est alors que je me mis à hurler.

Les deux chaussures prirent la fuite.

Sur l’étang les flamants laissaient leurs tâches roses flotter, comme si de rien n’était.

Domi

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21 mars 2013 4 21 /03 /mars /2013 10:29

En chemin

 

La ville est là, sous sa chape de grisaille, même les jours de beau temps. Le voile s’étale, se coule entre les tours, s’étire jusqu’au port, semble se dissoudre dans le dessin de rares arbres plantés dans l’acier ajouré, s’insinue dans les ruelles autrefois mal famées qui sont devenues le royaume des gens aisés en quête d’authenticité, partout subsiste cette vapeur invisible qui est la trace de la vie des grandes agglomérations. La ville. Dans ce mot, la vie, avec ces deux ailes incrustées comme un songe. Elle avait toujours vécu en ville, dans celle-ci et dans bien d’autres. Le travail, l’école et le collège, le cinéma et les commerces. Elle pensait que c’était la normalité. Elle avait aimé la plupart de ces communes, à cause du travail, à cause des amis, à cause de la famille. Mais finalement était-ce la ville qu’elle aimait ? Là-bas près de l’étang ce qu’elle appréciait c’était cet horizon si lointain qui esquissait le dessin d’une colline boisée glissant jusqu’au rivage. L’aquarelle changeait à chaque instant, l’eau salée se mêlait à l’eau du ciel, les lueurs de la nuit scintillaient jusqu’à transpercer l’étendue sombre miroitante. Ailleurs, elle avait gouté à la douceur d’une petite cour nichée au cœur de la cité. Un acacia, un carré de ciel bleu et le silence suffisait à la faire rêver. Du haut d’une tour elle voyait une autre tour, et tout en bas des limaces qui circulaient. C’était l’air et le ciel qu’elle aimait, cette sensation de se trouver en apesanteur. Il y avait eu tant de villes traversées, d’étapes, avec à chaque départ un pincement au cœur. Quelle qu’elle soit, la ville avait ses rues, ses voies qui devenaient rocades, qui se métamorphosaient en autoroutes urbaines, toujours les mêmes, bordées d’enseignes qu’on retrouvait partout ailleurs. Les mêmes. On pouvait venir, on pouvait partir. Quoi pour retenir ce flux rayé comme un disque vinyle ? Toujours le même noir de l’asphalte, les passages pour piétons qui se gommaient inexorablement, les feux tricolores qui clignotaient toujours sur le même tempo, suivant la portée d’un compositeur invisible et aveugle et l’arsenic de la promiscuité qui tue à dose infinitésimale. La ville est toujours là, s’enfle, aspirée vers la hauteur par les grues, prête à s’écrouler.

Un jour elle a dit « Assez ! » Elle oublié la ville.

Elle prend les cartes, où le dessin des montagnes est plat, où les cours d’eau sont bleus et secs, et les forêts toujours vertes. Les routes ne sont plus noires mais blanches et les chemins rouges. Les falaises sont formées de multiples lignes serrées les unes contre les autres, solidaires, pour montrer leur cohésion et leur force. Elle connait ça depuis l’enfance. Le voyage, c’est déjà sur la carte qu’il se fait, porte ouverte sur l’imaginaire de la géographie. Cet héritage, comme le recel d’un trésor, elle l’a toujours malgré les années, bien ancré dans ses habitudes. Sur la table, elle déplie soigneusement les plis de la carte, les lisse afin de ne perdre aucun détail. La nature surgit alors, improbable, mais bien réelle. La réalité, c’est ce qui continue d’exister lorsque l’on cesse d’y croire. Le miracle se produit, la carte conduit à la nature.

Ce jour là elle a vraiment envie de trouver du vert, de la fraîcheur, du ciel. Elle opte pour un endroit dont elle n’a jamais entendu parler, à l’écart des routes et des villages. La route sinueuse s’élève dominant le poljé de Cuges les Pins, ancien lac creusé dans un terrain karstique. Elle aime ce contraste du creuset plat du village et des ses lèvres blanches élevées et aiguisées qui l’entourent. Puis elle découvre un plateau ouvert sur le massif de la Sainte Baume qui forme une barrière prête à protéger du vent du nord. La toute petite route redescend doucement dans un vallon vers Riboux [1]. A l’entrée, un endroit pour stationner dans l’herbe, près d’un point d’eau soigné planté d’oliviers et de lavandes. Jouxtant cet accueil bienveillant, une pinède à l’ombre de laquelle des tables de pique-nique attendent les visiteurs.

Ils ont amené les glacières. La nappe à carreaux parme rappelle la lavande. Le vin est frais et le pain croustillant. Sur les autres tables, même scène, avec les variantes liées à la présence d’enfants. Ceux là ont même pris des hamacs qui se balancent entre les pins. La sieste sera belle sous le concert des cigales. Là-bas à quelques mètres le hameau vit. Ce ne sont qu’une dizaine de maisons qui s’appuient les unes aux autres. Une placette minuscule arbore fièrement son drapeau tricolore. La mairie. On est donc dans une vraie commune.

 

Elle a fait le tour du hameau et croisé deux hommes qui se rendent service. Un peu de sable pour l’un, un coup de brouette pour l’autre. Salutations d’usage.

« Vous vivez ici tout le temps ? » demande-t-elle. « Et il y a combien d’habitants ? »

Ils sont une trentaine à avoir choisi ce bout du monde. A l’extrémité de la route il y a la barrière naturelle de la Sainte Baume. Et tout autour, la forêt entrecoupée de cultures et de vergers. Elle s’est rendu jusqu’à la chapelle à l’écart du village, et au puits fermé appuyé sous un amandier. Tous les ingrédients du paysage provençal sont bien là, dans leur simplicité, dans leur modestie. Il se dégage de ce site une quiétude bienfaisante.

La carte est vite oubliée. Elle se plonge dans ce réel qui n’en finit pas de l’étonner tant les sensations sont intenses. L’eau est fraîche comme une source et elle mouille son mouchoir pour le poser sur sa nuque en sueur. Elle s’allonge à l’ombre d’un cerisier, en bas le long du chemin où passent rarement des véhicules. Là non plus la carte n’est plus utile. Cette ombre douce et calme n’était pas inscrite dans le projet. Il faut la savourer telle qu’elle vient, l’accueillir en soi et laisser le vent jouer avec les feuilles, clignoter, partir, revenir sur la paupière comme on secoue un dormeur pour lui dire « Il faut se lever, le jours est venu ».

Elle a remis ses chaussures et son sac sur le dos.

Le chemin part vers le sud après avoir franchi un gué à sec. A la fin de l’hiver il doit chanter et murmurer le miracle de l’eau dans ce pays calcaire. Elle écoute ce silence de ruisseau, reste à l’affut de la musique qui clapote en elle. Le chemin l’éloigne des dernières maisons, loin des cultures et grimpe sur un plateau. La forêt est là, odorante, emplie des stridulations des cigales. Elle a son front de rêves et se sent comme habitée et nourrie par la nature qui l’entoure de ses bras. Elle ira loin aujourd’hui. Le temps s’est mis sur un autre rythme. Ces heures de l’après-midi, elle est sure, sont plus longues aujourd’hui. Rien d’étonnant à cela, à  l’époque romaine, les heures n’avaient pas la même durée. Elle a ses yeux de rire. Le chemin n’est pas balisé et la carte est alors à nouveau bien utile. Aussi, de temps en temps, il lui faut manipuler le papier pour se repérer dans cet espace-temps qui n’est qu’à elle. Le parcours lui fait traverser, après la forêt, une zone qui a été incendiée. Le soleil semble raviver la brûlure et le vent devient de feu, léchant des taillis rares comme nés des pierres grises aiguisées par l’érosion. Le silence aussi est plus abrupt. Elle retient son propre souffle, cherche un petit coin d’ombre rare. Le regard va loin vers le sud peut être même jusqu’à la mer. Puis la forêt revient, plus dense, et le chemin est taillé dans une végétation serrée et chaude comme un tricot de laine. Ira-t-elle jusqu’à ce point noir repéré sur la carte ? Il fait chaud, sa bouche est sèche comme le maquis malgré l’eau de la gourde. Elle hésite à poursuivre tant la chaleur est puissante. Aucun vent ne fait chanter les pins. Seules les cigales s’époumonent. Pourtant, malgré ces sensations dures, elle continue comme attirée par une force cosmique.

Chaque fois qu’elle reviendra ici elle sentira cela. Quelque chose d’irrationnel lui fait penser qu’elle est ici chez elle, qu’elle fait partie de la forêt, qu’elle connait déjà ces chemins. Elle, la fille de la ville, connait à peine le nom des arbres et de quelques plantes et néanmoins elle se sent ici vivre plus intensément que partout ailleurs.

Au fil des saisons, elle vient pour saisir les cycles de la nature.

Hiver. Jour de grand beau temps sous la nappe éclatante du ciel. Les bucherons ont nettoyé les bois. L’odeur de résine est aussi rêche que les veines des troncs coupés entassés en gigantesques montagnes. On dirait le fagot d’un géant, peut-être celui de la montagne ? Elle se sent minuscule, humble, fourmi qui cherche son chemin de vie.

Printemps. Le gué est maintenant inondé d’une eau claire qui suit le vallon puis se perd dans une faille qui a frayé son parcours dans le calcaire. Le murmure mélodieux déroule ses notes calmes en contrebas du chemin. Le sol est souple et garde l’empreinte des pas. Les champs sont striés de vert, comme passés à la peinture avec un râteau. Traces de sangliers qui ont fouillé la terre meuble.

Eté. Elle a rencontré un promeneur avec ses chiens. Elle lui a raconté : « Je viens de voir deux cailles des blés sur le chemin, juste devant moi. » Ils ont marché un moment ensemble. Lui, parlant de cette terre qu’il connait depuis l’enfance, elle n’osant dire qu’elle vient de la ville. Certains jours elle est restée jusqu’à la nuit, guettant le moment où le silence s’installe une fois le soleil disparu laissant dans le vallon une ombre douce et tiède. Envie de rester là pour dormir sous les étoiles. Très tard dans la nuit elle croisera des renards aux yeux brillants dans le reflet des phares.

Automne. Le vent ne peut plus être stoppé par la montagne. Les gros nuages s’accrochent au sommet et déversent leur ombre menaçante. Tout est creusé par ce vent, le ciel et la terre où la charrue a fouillé le sol. La couleur blanche a cédé la place à l’ocre et aux oranges. Deux faisans se laissent presque approcher là bas au bout du champ et puis s’enfuient vers la forêt protectrice.

Elle aimait toutes ces nuances, ces explosions soudaines des nuages qui la trempaient, la neige aussi qui un jour avait poudré les sommets et déposé une couche de silence sur le chemin. Elle voyait les traces des animaux et laissait les siennes, presque à contre cœur.

Elle en était sure, c’était là qu’elle se sentait bien et en paix avec le monde. Mais pourquoi à cet endroit précis ? A cause de ce premier jour peut être. Exténuée de chaleur, le visage écarlate et le corps rempli de braises incandescentes elle avait trouvé l’ombre de pins anciens sous lesquels s’entrelaçaient d’épais buissons. Devant elle, une forme avait laissé un sillage brun dans le vert du taillis. Elle n’était pas sure d’avoir vu quelque chose. Juste une couleur mouvante. Puis elle avait abouti à ce point noir de la carte. Un mas perdu à plus d’une heure de marche du hameau. Ce mas était posé sur un terrain herbeux dans une clairière de la forêt. Des plantations d’oliviers formaient une légère protection végétale sur ce espace découvert. Un figuier baignait d’ombre une chaise longue, invitant à la méditation. Sur sa carte, elle noterait, comme à son habitude, le tracé du chemin et la durée du parcours. Dans son cœur, elle gravait cette image de repos, après un long effort.

 

Alors qu’elle rebroussait chemin et atteignait la zone la plus boisée elle le vit au bord du chemin. Leurs pas respectifs s’arrêtèrent. Leurs regards se croisèrent. Dans ce regard elle découvrit la vie. Dans le sien elle mit de l’humilité et voulut être invisible. Elle se mit en apnée, de peur que sa seule respiration rompe cette magie.

 

Cela dura … Elle ne sait pas. Puis le jeune chevreuil fut happé par le taillis, d’un seul bond.

Domi



[1] Riboux, commune du Var, 516 m d’altitude, au sud de la Sainte Baume.

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19 septembre 2012 3 19 /09 /septembre /2012 12:33

J'avais écrit cette nouvelle dans le cadre d'un concours dont le thème était "l'eau". Je n'ai eu aucune récompense.   Peut être aurai-je celle d'avoir quelques commentaires de lecteurs.

 

LES MAINS MOUILLEES

 

« Allo, c’est Lola ». La jeune fille en jean et polo délavés était allongée sur un moelleux sofa dans ce logement spacieux à la déco contemporaine. Aujourd’hui on dirait « loft ».  Panneaux de la dernière nouveauté sur les murs, trompe l’œil avec chapiteau antique pour donner encore davantage de perspective à la vaste pièce et des lambeaux de toile, histoire de donner un côté savamment négligé à cet intérieur luxueux. Lola n’était pas spécialement d’une grande beauté. Ses cheveux longs tombaient en bandeau comme des algues, un peu poisseux. Elle avait le teint pâlot et ses yeux étaient trop fardés sous l’arceau des sourcils, rimmel bon marché et crayon khôl violet. Elle insistait toujours sur le crayon au bord des paupières. Ça agrandit les yeux. Elle avait lu ça dans les journaux, chez le dentiste. Lola ajusta ses lunettes tout en s’assurant que Madame Merleau n’arrivait pas à l’improviste. Lola parlait à sa meilleure copine, celle qu’elle avait rencontrée en colo il y a quelques années, à Saint Malo.

Lola, elle n’habitait pas dans ce loft, vous l’avez compris. Juste de passage, pour laver les pavés, les waters et astiquer le pommeau de la douche. Aussi loin qu’elle s’en souvenait, elle avait toujours eu les mains mouillées.

Lola Fontaine. Une semaine avant sa naissance, le gynéco avait dit à sa mère, « Vous inquiétez pas, vous l’aurez votre petit taureau ». Le Docteur Wasser de Haguenau, un alsacien de pure souche, inspirait toute confiance. Il avait fait naître une ribambelle de petits Max, Fritz, Lorelei, Frantz. Raté, elle était arrivée avec deux jours de retard sur la date prévue. Raté, elle n’était pas ce Laurent, le Taureau dont rêvait sa mère, mais une petiote toute maigre, née sous le signe des Gémeaux. D’ailleurs sa mère ne savait pas comment l’appeler. On lui avait dit que c’était un garçon, alors elle n’avait pas pensé à un prénom de fille. La veille de sa naissance, la mère avait dit à son mari, « Regarde les Match que la voisine m’a fait passer, moi je vais me coucher, je suis vannée.». Au petit matin, quand elle avait senti un flux tout chaud inonder le lit, elle s’était écriée, « C’est quoi l’eau là ? » Alors onze heures plus tard, après l’accouchement sans péridurale, alors qu’elle était encore à moitié dans les vaps et que la sage-femme lui demandait comment s’appelait la fillette qui venait de naître, elle avait lâché dans un souffle «  Lola ». C’est tout ce qui lui était venu à l’esprit. Quant à son père, il avait préféré ne rien raconter à sa femme sur sa lecture de la veille au soir et notamment l’accident du Barrage du Malpasset qui l’avait ébranlé. Lui qui travaillait à la régie des eaux, il était saturé de toutes ces matières aqueuses.

Lola, depuis le berceau était habillée en bleu, toujours à cause de ce garçon qui était annoncé. Mais elle aimait bien ça finalement. Toutes les autres filles à l’école avaient toujours un ruban ou un pull rose, mais elle ne portait que du bleu, ciel, marine, mais toujours du bleu. Pour son baptême, elle ne s’en souvenait pas, bien sur, mais on le lui avait raconté, le curé qui crevait de chaud avait mélangé de grosses gouttes de sueur à l’eau bénite et il avait dit « Lola, je te baptise avec cette eau là, l’eau pure et cætera et cætera ». Comme le bénitier était vieux et tout fendu, il y avait à la place un seau en plastique. Ça c’était sur, car elle avait encore une photo toute violette d’un appareil polaroïd, à impression instantanée. Apparemment ça n’avait pas été de la rigolade car à voir son visage tout convulsé, la fameuse eau sur sa tête n’avait pas fait de miracle. Le curé, affolé par les réactions de la petite avait renoncé à humidifier la tête et avait fini par tremper les menottes de Lola dans le seau, directement.

Alors aujourd’hui, quand Lola Fontaine, essore la serpillère de Madame Merleau dans un seau couleur rose, assorti au manche à balai et à la petite pelle pour la poussière, elle n’est pas étonnée. C’est normal, ça coule de source, quoi. Dès le berceau, elle a senti que son cerveau, son cadeau, son château seraient plus ou moins liés à un caniveau laissant s’écouler un liquide déjà façonné par de multiples usages. De toute façon le cycle de l’eau, c’est toujours comme ça.

Quand elle avait visité un château médiéval, avec la classe, elle avait regardé par-dessus le pont levis, des douves remplies de vase. Elle n’avait pas pensé à ressembler à la princesse Raiponce mais plutôt à cette Cendrillon, version avant sa virée au bal, toujours en loques.  Oh, parfois, elle pensait à des bateaux, des tableaux, des oiseaux qui la faisaient s’échapper de son destin tracé comme les lettres de la machine à écrire sur le papier, avec un carbone pour faire la pelure du chrono. Le dirlo de la communale avait dit à son père « Votre Lola, elle pourrait faire un bon travail de bureau, ou serveuse avec son plateau rempli de menthe à l’eau ou de beaujolais nouveau, en équilibre au milieux d’une forêt de zigoteaux ». Son cerveau n’était pas fait que d’eau mais la bureaucratie, ça ne la branchait pas. Pas plus que de laver les couteaux et de cuisiner les poireaux de l’auberge du Coteau. Il y avait donc eu beaucoup d’eau sous les ponts, sans soupir, sans même un soupirant et Lola avait passé son certificat d’études dans l’indifférence générale. Même le Docteur Wasser avait proposé à sa mère de la prendre dans son cabinet, pour remplir les dossiers. Mais Lola n’avait vraiment pas envie de voir défiler les utérus, les vagins, les fibromes et autres règles douloureuses. Rester au fourneau, non plus, elle ne s’y voyait pas. Faire cuire des gâteaux avec la chaleur du four et la tête rougeaude du boulanger, elle ne pouvait s’y résoudre. Larder et ficeler des rôtis de veaux, servir des fricandeaux et plumer des pigeonneaux, ce n’était pas rigolo. Coudre des manteaux, des rideaux, des paletots, tricoter des écheveaux et décorer des chapeaux ne lui convenait pas. Lola aurait bien aimé s’occuper de nettoyer des peaux, de les lotionner, d’estomper les rides de clientes soucieuses de leur apparence. Mais la formation coutait trop cher. Elle avait oublié. Travailler à la piscine ? L’odeur du chlore l’incommodait.

Elle prépara un trousseau. Qui sait un jour un garçon laisserait son pinceau, son marteau ou son escabeau dans son petit studio qu’elle louait dans les faubourgs de Haguenau. Un gars du pays, peut être connu du Docteur Wasser, peut être même beau et même pas un petit penchant pour le bordeaux. Elle l’imaginait doux comme un agneau, lui glissant l’anneau. C’était un peu à l’eau de rose son histoire mais ça ne faisait pas de mal de penser à des choses agréables.

Elle entendit la clef de Madame Merleau tourner dans la serrure de la porte. D’un bond elle raccrocha précipitamment le téléphone et quitta le canapé. Le seau vacilla et une flaque s’étala sur le sol. Lola sentit les larmes inonder ses pupilles dilatées par la confusion et la honte.

Marie-Odile Merleau s’avança sans prêter attention à Lola. « Voilà, c’est ici. Pablo, j’aimerais que vous me refassiez toutes les peintures. » Lola croisa le regard bleu du jeune ouvrier vêtu tout de blanc et muni de multiples pinceaux et sentit comme un chalumeau à l’intérieur de sa poitrine. Elle vit dans ses yeux  un océan, une plage de sable fin, une planche de surf survolant les rouleaux. De ses mains, quelques gouttes tombèrent sur le marbre beige, comme des perles.

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